
Comme après la crise sanitaire de 2020, Macron tente le coup de la gouvernance par les symboles. A l’époque, il était allé débaucher dans les rangs des républicains, un homme qui fleurait bon le terroir pour remonter le moral des français privés de verdure. A chaque allocution, le salon de l’agriculture pénétrait nos chaumières. Après deux mois de confinement, le président avait pensé que les roulements de « R » auraient des vertus thérapeutiques et panseraient le trauma de l’enfermement. Il pensait surtout que l’image d’Épinal placée à Matignon ferait oublier qu’avant la pandémie il était disposé à mettre en pièce le système de protection sociale.
La nomination de Pap N’Diaye à la tête du ministère de l’Éducation Nationale relève du même procédé. En allant piocher dans ce qui est désigné par la diversité, Macron tente une fois encore le coup de la disruption. Il fallait trouver le négatif du très droitier et autoritaire Banquer, c’est chose faite. Mais les amateurs de John Carpenter le savent : avec des bonnes lunettes on parvient à démasquer les imposteurs. D’ailleurs comme le dit prosaïquement l’un des héros d’Invasion Los Angeles [1], aurait-on l’idée de parfumer un cochon ? En effet, la tête de gondole a changé mais pas ceux qui ont assuré les basses œuvres lors de la précédente mandature. Les directeurs de cabinet restent en place et plus important encore les projets de destruction du système scolaire sont encore sur la rampe de lancement : destruction des REP, renforcement de la hiérarchie dans le premier degré.
Pourtant le bilan catastrophique des cinq dernières années aurait dû ramener nos gouvernants à la raison : Parcoursup, réforme du lycée, évaluations. Au-delà de ces réformes, ce sont leurs conséquences désastreuses dont il est facile de dresser un inventaire, la plus importante étant sans doute la une crise des vocations à laquelle s’ajoute une vague de démission sans précédent.
Pap N’Diaye a raison, il y aura bien un adulte devant chaque classe à la rentrée. Mais est-ce un projet pour l’école que d’imaginer que l’enseignement se réduit à la surveillance des élèves ? Pourtant c’est en cela que le projet N’Diaye-Macron est cohérent avec le projet Blanquer-Macron. Il serait bien naïf de croire que la pénurie d’enseignants vient perturber les desseins de ceux qui dirigent l’E.N depuis cinq ans, dans l’ombre ou en pleine lumière. Le déficit de recrutement s’inscrit dans un processus de taylorisation de la profession enseignante que la pandémie a fait émerger un peu plus tôt que prévu, mais l’idéologie était bien en place. Pourquoi avoir des enseignants dûment formés et rémunérés quand on peut disposer de supplétifs acculés à avaler les couleuvres de l’enseignement à distance, de la gouvernance par les évaluations, le miracle des neurosciences et la fin des déterminismes sociaux ?
Ce projet pour l’École comme pour la société est celui de l’individualisme triomphant, le règne du chacun pour soi. La réforme du lycée, Parcoursup, les PPRE, les PAP, l’Ecole inclusive, chacun de ses éléments participent à l’éclatement du système scolaire avec cette redoutable capacité à retourner les arguments des idées les plus généreuses. Est-il contestable de rendre l’école accessible au plus grand nombre ? Le système scolaire français n’était-il pas très sélectif ?
Blanquer, jamais disqualifié par Macron, aura su instrumentaliser à merveille les revendications et les recommandations les plus progressistes en matière d’éducation. Dernier exemple : les formations en constellation dans le premier degré auraient pu être d’intéressants chantiers de construction depuis la base, mais c’était sans compter sur la volonté de verticalité et la bêtise crasse en matière de pédagogie de l’aréopage du ministère.
Ils vont continuer inlassablement ce travail de recyclage des concepts tant que nous ne reprendrons pas en main notre outil de travail. Contre toute attente, le moment n’a jamais été aussi favorable. Comment les hiérarques vont pouvoir se gonfler d’arrogance quand les contingents de contractuels vont s’épuiser au sens propre comme au sens figuré ? Comment peuvent-ils encore nous menacer ou nous faire la leçon quand ils ont lâchement mis en œuvre chaque étape du protocole Blanquer et ce avec une violence inouïe ? Se rappelleront-ils avoir légitimé les uniformes dans les lycées pour faire passer la pilule du Bac Blanquer ou bien les convocations pour avoir contesté les évaluations de CP ?