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L’école inclusive, un slogan ou une bombe à retardement ?

4 pages de SUD Lutte de Classes éducation Limousin
Lundi 10 juillet 2023

La loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances (sic), la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a imposé aux établissements scolaires d’accueillir tous les élèves en situation de handicap. Il s’agissait alors, à première vue, de sortir d’une logique de ségrégation (ces élèves étant auparavant pris en charge par des établissements spécialisés) pour entrer dans une logique d’inclusion.

Près de vingt ans plus tard, le constat est édifiant : l’école publique accueille effectivement ces élèves, mais la prise en charge est assurée par des enseignants et des AESH [1] non formés pour ces missions, trop peu nombreux, et souvent – notamment dans le cas des AESH – non titulaires et en situation de précarité.

1. Un constat d’échec

Un premier niveau d’analyse amène à constater que, faute de moyens suffisants, l’école inclusive est un échec. En effet, l’accueil de ces élèves dans des classes aux effectifs de plus en plus importants (fréquemment une petite trentaine d’élèves) ne permet pas d’envisager un enseignement dans de bonnes conditions, loin de là, d’autant que l’explosion du nombre d’élèves à besoins particuliers demanderait pour chacun de leurs troubles une formation particulière.

Actuellement, ce sont les enseignants eux-mêmes qui doivent se débrouiller pour se former et s’adapter. C’est donc sur le personnel éducatif que repose directement l’immense tâche de compenser l’indigence des politiques éducatives. Par ailleurs, on constate que les AESH – dont la mission est d’apporter une aide individualisée à chacun des élèves concernés – sont souvent en sous-effectif. Certes, le nombre d’AESH est passé de 154 000 à 384 000 entre 2005 et 2022, mais cela reste largement insuffisant.

Les remontées du terrain indiquent en effet que de nombreuses classes, de l’école primaire ou du collège notamment, accueillent désormais plusieurs élèves (jusqu’à six ou sept parfois) relevant d’un dispositif ULIS [2], chacun d’entre eux ayant besoin d’une aide spécifique qui nécessiterait la présence de plusieurs AESH dans la classe ; mais bien souvent et dans le meilleur des cas, une seule AESH a été affectée pour l’ensemble des élèves de la classe relevant de ce dispositif.

À cela s’ajoute la mise en place des PIAL [3] pour la gestion des AESH, qui conduit partout à dégrader leurs conditions de travail déjà très précaires, leurs affectations et leurs missions étant de plus en plus fragmentées, le tout pour un salaire indigne.

En conséquence, et malgré la meilleure volonté des adultes (enseignants et AESH) présents sur le terrain, l’aide apportée aux élèves est donc bien éloignée de leurs besoins initiaux, ce qui génère de la souffrance, de l’insécurité et contribue à déstabiliser l’ambiance de travail de la classe. De fil en aiguille, cette maltraitance institutionnelle engendre des conditions d’apprentissages dégradées pour l’ensemble des élèves et des conditions de travail de plus en plus difficiles pour les enseignants.

Au final, c’est la qualité de l’enseignement dispensé par l’école publique qui se détériore peu à peu, ce dont témoigne partout le personnel éducatif, à croire que, des cabinets ministériels aux différents rectorats, la hiérarchie se satisfait du fait que la prise en charge des enfants porteurs de handicap se fasse au rabais.

2. Un échec programmé

Un second niveau d’analyse permet de penser que cet échec était programmé : l’ensemble des syndicats s’était inquiété dès 2005 du peu de moyens que les pouvoirs publics prévoyaient d’associer à cette réforme qui a permis de faire des économies de grande échelle. En effet, l’accueil des élèves en situation de handicap dans ces conditions est bien moins coûteux que lorsqu’ils étaient accueillis dans des établissements spécialisés et pris en charge par du personnel médico-éducatif titulaire et formé. Ainsi, selon les estimations, le coût de la scolarité d’un élève varie entre 5 000 et 7 000 euros par an. Dans les établissements spécialisés (IME [4] ou ITEP [5]), il s’échelonne de 40 000 à 60 000 euros, contre un coût de 16 000 euros pour une scolarisation en ULIS.

On lira ici ou là que sans moyens, sans personnel spécialisé et sans formation, « l’école inclusive n’est qu’un slogan ». C’est malheureusement bien pire. Il faut en effet replacer ce projet d’école inclusive dans son contexte, celui d’une dégradation progressive volontaire et réfléchie de l’école publique. Pilotée par l’OCDE [6], cette dégradation est aujourd’hui observable dans l’ensemble des pays qui en sont membres, en Europe notamment (on pourra ici se référer aux nombreux travaux de l’APED [7]).

Là encore, plusieurs niveaux d’analyses permettent de comprendre le processus à l’œuvre.

Le premier, qui n’est plus un secret pour personne, conduit à constater que la classe dirigeante a désormais pour projet de marchandiser l’éducation, le secteur s’annonçant particulièrement lucratif. En vertu de l’Accord Général sur le Commerce des Services, signé en 1999, la fonction publique dans son ensemble est désormais dans la ligne de mire de l’agenda néolibéral. Privés des moyens de fonctionner correctement, l’hôpital et l’école sont désormais en première ligne.

Un second niveau d’analyse est indispensable afin de bien comprendre la situation : dans la mesure où c’est désormais l’école privée, réservée aux enfants des familles les plus fortunées, qui est en charge de former la classe dirigeante, les futurs managers et l’élite de la nation, l’école publique se retrouve cantonnée à préparer les classes populaires à simplement pouvoir exécuter les tâches via un niveau minimal de polyvalence. On va donc vers un marché du travail divisé en deux parties.

Inutile donc, pour le gouvernement, d’améliorer la qualité de l’école publique, bien au contraire : les familles les plus récalcitrantes qui en auront les moyens inscriront leurs enfants dans le privé. On observe ainsi, dans l’ensemble des académies, un transfert effectif des inscriptions du public vers le privé d’environ 3 % supplémentaires chaque année.

3. Un ultime piège

Loin des belles intentions affichées, le projet d’école inclusive porté par la loi de 2005 est donc pour l’école publique un ultime piège.

Et pourtant, la jeunesse aurait plus que jamais besoin d’une école accueillante et sécurisante pour pouvoir affronter le monde périlleux qui s’ouvre à elle. Secouée, voire traumatisée par les multiples crises (sociales, écologiques, sanitaires, politiques, énergétiques…), elle est en droit d’exiger un enseignement qui permettrait à chaque élève de se projeter dans un futur où tout est à reconstruire. En lieu et place de cela, la pénurie de moyens accordés à l’école publique engendre tout le contraire : alors qu’il est avéré que les différents confinements et les multiples protocoles sanitaires ont eu de dramatiques conséquences sur l’état psychologique des enfants, ce qui aurait dû entraîner une mobilisation exceptionnelle de moyens pour y remédier, notre jeunesse populaire est actuellement entassée dans des établissements scolaires qui fonctionnent mal, ce qui entraîne chez elle, globalement, un sentiment d’insécurité grandissant.

Une double question reste alors en suspens : quels adultes deviendront ces enfants ? Pour quelle société ?

4. Déjouer le piège, faire évoluer l’école

S’il est évident que l’école publique se doit d’inclure tous les enfants, il est tout aussi évident que des moyens doivent être déployés à la hauteur de cette ambition. Cela signifie le recrutement de professionnels formés, suffisamment nombreux, qui puissent accompagner ces élèves dans leur scolarité, au sein de classes dont les effectifs devront être réduits afin de favoriser au maximum de bonnes conditions d’apprentissage et d’enseignement pour tous les élèves.

De l’instrumentalisation d’un concept

Au début des années 2000, la France a été pointée du doigt par l’ONU pour l’existence de structures comme les IME, jugées ségrégatives. Les directives européennes, relayées par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), exigent depuis lors que les IME, au nombre de 30 000 à l’époque, soient progressivement fermés. Cette fermeture des structures spécialisées a engendré la nécessité de pallier leur manque et la pénurie de travailleurs sociaux par le devoir d’accueil des élèves en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers dans les établissements scolaires et, par suite, la nécessité de répondre au besoin de formation initiale et continue des enseignants afin de mettre en œuvre de façon effective ce projet d’école inclusive.

Cependant, alors que le nombre des élèves en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers augmentait au sein des établissements scolaires, le volume horaire de formation des enseignants connaissait au contraire une chute vertigineuse. En effet, la formation initiale des enseignants est passée de 1 400 heures à 900 heures après 2010, et la formation spécialisée est passée d’une année de formation à temps plein jusqu’en 2003 à 720 heures par an jusqu’en 2017, pour tomber à environ 420 heures actuellement.

Ainsi, si l’on conjugue la formation initiale et la spécialisation, un enseignant spécialisé formé aujourd’hui, qui aurait commencé à travailler après 2010, est donc à moins 800 heures par rapport à ses prédécesseurs.

Nous pouvons donc déplorer l’instrumentalisation d’une idéologie respectable au profit d’une logique de réduction des coûts : on ne pense plus le parcours des élèves en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers en termes de projets mais en terme de coût journalier.

Que cache le terme inclusive [8] ?

Les élèves en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers ont droit à l’école tout court et l’épithète inclusive est une manière de rappeler que leur condition première est d’en être exclus a priori, mais que l’institution consent désormais à faire des efforts : si les élèves valides bénéficient du droit inconditionnel d’aller à l’école, les élèves en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers y sont désormais admis dans la mesure où elle devient suffisamment inclusive.

Les personnes en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers sont ainsi encore perçues comme des êtres qu’il faudrait réadapter à la norme valide, ce qui se traduit en fait par l’exclusion du système scolaire ordinaire de certains élèves, sur la base de leur différence et de leur supposée incapacité à suivre le rythme et le fonctionnement imposé par l’école.

En outre, on observe un double glissement vers une logique d’individualisation des difficultés et vers la relativisation des facteurs sociaux qui pourraient en être à l’origine. Cette approche médicale et individualiste du trouble sur un mode diagnostic/remédiation prend l’ascendant sur une approche systémique et plus complexe qui essaierait de comprendre l’origine du trouble et son caractère multifactoriel. Dès lors, l’individu est accompagné pour composer son parcours et s’il ne s’en sort pas, ce sera du ressort de sa responsabilité individuelle et non plus de celle de la société.

Ne doit-on pas tout simplement affirmer la nécessité d’une école inconditionnelle pour toutes et tous et restituer une vision plus juste de la diversité humaine et sociale, plutôt que de présenter le handicap sous l’angle de la déficience, des sentiments moraux ou de l’altérité ? Ne doit-on pas ainsi affirmer que l’institution École a l’obligation légale de se rendre accessible à toutes et tous et doit pour cela adapter et aménager son fonctionnement ?

La communauté enseignante doit ainsi reconnaître qu’elle travaille dans une institution qui œuvre davantage à la reproduction sociale des diverses inégalités [9] qu’à l’émancipation des individus. Faire ce constat est primordial pour construire des pratiques qui soient politiques et non discriminantes : arrêt des notations et du classement, critique frontale d’une culture d’évaluation systématique, remise en question du tri scolaire d’orientation et de la méritocratie. Rien ne sera possible sans cette critique frontale et légitime du système scolaire actuel.

Le validisme, face cachée du capitalisme

Le validisme est un système d’oppression opérant dans des sociétés construites uniquement pour les personnes valides et non pour l’ensemble de la population. Basé sur une norme et des attentes spécifiques, il engendre l’exclusion de la puissance créative d’une véritable considération de la différence. On veut un individu normé, qui soit rentable à court terme, productif et utilisable dans tous les domaines. La norme est donc dictée par les besoins de la société capitaliste.

Le comité des droits de l’Homme de l’ONU a produit en 2021 un rapport alarmant : la France est aujourd’hui l’un des pays les moins enclins à construire avec la diversité des individus qui font son identité. Pourtant, chacun d’entre nous dépend des autres physiquement et psychiquement, a besoin de soins, d’affection et de reconnaissance. Les personnes fragiles rendent cette interdépendance évidente : cela va à rebours d’une valeur forte de nos sociétés libérales modernes où l’on survalorise l’autonomie au détriment de nos dépendances, vécues comme négatives. Ainsi, les personnes vulnérables sont à considérer comme des lanceurs d’alertes : lorsque leurs besoins ne sont pas satisfaits, ça se voit, mais cela concerne en fait nos besoins à tous.

Il s’agit donc, à l’école, de donner les moyens à tous les élèves d’exprimer leurs propres besoins et d’entrer en interaction avec les autres en les dotant d’outils utiles pour tous, et de les accompagner dans la construction de leur propre parcours, à partir de ce qu’ils sont, et non de les formater dans le but de rejoindre les attentes projetées du système en place. Des moyens doivent donc être déployés pour permettre que toutes et tous aient accès à une formation réellement qualifiante et à la hauteur d’une société vraiment inclusive.

Ecole inclusive - 4 p SUD LDC Limousin (juillet 2023)

[1AESH : Accompagnants des élèves en situation de handicap

[2ULIS : Unité localisée pour l’inclusion scolaire

[3PIAL : Pôle inclusif d’accompagnement localisé

[4IME : Institut médico-éducatif

[5ITEP : Institut thérapeutique éducatif et pédagogique

[6OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

[7APED : Appel pour une école démocratique https://www.skolo.org/

[8Extraits notamment de « École et handicap : pour une écolepour toutes et pour tous ! Entretien croisé avec Cécile Morin et Renaud Guy », N’autre école - Q2C n° 20, hiver 2022-2023, p. 66-70.

[9Voir S. Laffarge, « Le quasi-marché scolaire aux racines des inégalités », N’autre école - Q2C n° 8, printemps 2018, p. 52-55.

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