- entailler profondément notre statut - le rêve ultime de toute réforme libérale de l’Éducation nationale étant de le supprimer totalement - via l’annualisation du temps de travail, la contractualisation de nos missions et le renforcement du pouvoir du chef d’établissement ;
- se dispenser d’une réelle et nécessaire revalorisation de la profession (qui faisait enfin de plus en plus consensus dans l’opinion publique), en laissant accroire que le Pacte en serait une ;
- et enfin, l’objectif affiché en direction des parents notamment (qui constitue l’objet de cet article) : en finir définitivement avec ces milliers d’heures perdues par les élèves en raison des « trop nombreuses » absences de courtes durée des enseignants.
On remarque que ce discours et cette réforme s’appuient sur deux idées reçues – on dirait aujourd’hui fake news – parmi les plus coriaces sur notre profession : le prétendu (et en fait totalement faux) sur-absentéisme des profs [1], et d’un autre côté l’idée que les profs ont du temps libre à ne plus savoir qu’en faire [2]. D’où l’idée du Pacte : puisqu’ils ne gagnent pas assez et qu’ils travaillent peu, mettons-les au travail en leur faisant remplacer leurs collègues absents (principe du RCD), tout cela dans une logique contractuelle (le Pacte) pour les soumettre un peu plus à leur hiérarchie en les contrôlant davantage.
Ainsi, le Pacte fut présenté aux enseignants en fin d’année dernière, dans un flou calculé et délibéré. Cette pratique récurrente de la Macronie a pour but de plonger les personnels dans l’incompréhension et l’anxiété, les amenant à d’interminables discussions sur leur interprétation des annonces ministérielles, parfois contradictoires. Ce qui pousse à oublier qu’en ne s’interrogeant que sur le « comment » - les modalités - de la réforme, ils évacuaient la question cruciale du « pourquoi ». Il semblait en tout état de cause assez clair que ladite « 1re brique », celle consacrée aux RCD était au centre du dispositif. De fait, l’opportunité d’accéder à une deuxième ou troisième brique était conditionnée par l’acceptation de la brique dite RCD, à titre individuel ou au niveau de l’établissement – un certain % de brique n°1 devant être atteint - selon les versions.
Face à l’accueil plus que mitigé de la communauté enseignante et pour éviter un fiasco complet, le ministère décida, courant juin et juillet, d’assouplir peu à peu son discours. Cela eu lieu au gré des déclarations et des interviews car, rappelons-le, aucun texte n’était paru. Cette absence déclencha l’ire des chefs [3], victimes consentantes de cette technique du « ballon d’essai » à la mode depuis l’ère Blanquer - on atteignit des sommets à l’époque du Covid - , et qui avaient de plus en plus de mal à répondre aux questions qui leur étaient posées en salle des profs.
On crut alors comprendre que, finalement, la brique RCD n’était plus forcément prioritaire (en fait elle l’est toujours, mais c’est au chef d’estimer s’il y a assez de briques RCD au global), et que les trois briques de LP n’étaient finalement pas « insécables ». Le texte parut enfin pendant les vacances. En fait, deux textes : l’un sur le Pacte, la note de service du 27 juillet, stratégiquement intitulé « Modalités de mise en œuvre de la part fonctionnelle de l’ISOE » (exit donc le terme de « Pacte »), et l’autre, le « Décret n°2023-732 du 8 août 2023 relatif au remplacement de courte durée », donc sur les RCD uniquement. En effet, anticipant sans doute la chronique d’un échec annoncé avec le Pacte, le ministère a choisi de déconnecter, en apparence, le Pacte des RCD, afin d’éviter que le premier vienne ternir l’image du second, qui apparaît donc être LA priorité du moment pour l’Éducation nationale. C’est ainsi que les chefs se sont vus confier la mission, à l’aide d’un guide publié début septembre, de mettre un place un « Plan annuel de remplacement de courte durée ». Bien évidemment, ce plan repose essentiellement sur le Pacte, et l’on y apprend que les besoins RCD sont bien prioritaires sur les autres missions ; vu le peu d’enthousiasme des collègues pour ce dispositif, de nombreux chefs (appuyés par le rectorat) ont adopté depuis peu la stratégie du passage en force, autrement dit du chantage, conditionnant toute une série de missions, de projets, à la signature du Pacte. Mais comme cela ne suffit pas non plus, l’ultime stratégie du ministère contenue dans le plan est plus radicale : puisque l’on ne peut pas remplacer les absents, empêchons les absences ! C’est écrit noir sur blanc dans le « plan annuel de RCD » : « La limitation des absences de courte durée prévisibles sur le temps d’enseignement est un levier de régulation essentiel à l’interne de l’établissement. Le chef d’établissement dispose d’un pouvoir d’appréciation, et donc de validation, sur la pertinence pédagogique des activités ou des projets mis en œuvre ». Traduction : les chefs sont invités à limiter les sorties, les projets ou voyages scolaires à moins que les organisateurs ne trouvent des remplaçants. Quid de « l’ouverture culturelle » des élèves (et même de leur fameuse « pédagogie de projets » si souvent vantée, préconisée non sans prosélytisme) ? Voudrait-on démotiver les enseignants qui s’investissent dans leur métier qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Et surtout, voudrait-on saboter l’Éducation nationale au profit du privé – où les « pactisans », tiens donc, sont beaucoup plus nombreux -, et ainsi renforcer le tri social déjà bien à l’œuvre, qu’on ne s’y prendrait pas autrement….
« Empêcher les absences », cela pourra aussi se traduire par un alourdissement du temps de travail : par des réunions systématiquement placées sur le temps de midi ou le soir après les cours, voire le mercredi après-midi. Il sera alors bon de rappeler aux chefs que la plupart de ces réunions sont non obligatoires statutairement. Il en va de même pour la formation : « une organisation de l’emploi du temps permettant d’assurer la compatibilité entre les jours de formation et les jours de cours doit être systématiquement recherchée. ». C’est ainsi que l’on découvre que les formations proposées sont désormais placées sur des temps non travaillés, y compris sur les vacances. Rappelons là encore que les formations auxquelles nous serions « invités » en dehors du temps de service ne sont pas obligatoires [4].
Ce plan annuel de RCD s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler le pilotage par les chiffres – taux d’efficacité du RCD, taux de couverture des absences de courte durée par discipline, etc - clairement importé du monde de l’entreprise et s’appuie donc sur une logique managériale dont on connaît bien les effets nocifs : pressions exercées par la hiérarchie, perte de sens, dégradation des conditions de travail. Il est donc primordial de s’opposer fermement aux éléments contraignants du plan annuel de RCD et de créer un rapport de force dissuadant les chefs de modifier en cours d’année les modalités du plan dans le but de respecter les objectifs fixés par le Rectorat. Veillons par exemple à ce que les AED ne soient pas utilisées pour les RCD, notamment les AED en préprofessionnalisation qui suivent des cours à l’université ; refusons la mise en place d’une banque de supports pédagogiques et notamment numériques, destinée aux RCD, qui validerait l’idée que nous serions interchangeables et finalement remplaçables par une simple capsule vidéo et quelques clics.
Bref, si refuser et dénoncer le Pacte semble être une évidence, il va également falloir être d’une extrême vigilance quant à la mise en place du « Plan annuel de remplacement de courte durée » qui, en laissant au chef d’établissement une grande marge de manœuvre pour mettre en place un pilotage par les chiffres, laisse la porte ouverte à toute une série de dérives menaçant nos conditions de travail et notre liberté pédagogique.
